Sommes-nous bien outillés pour parler du futur ?
Parler du futur est un exercice complexe, surtout à une époque où les défis mondiaux – qu’ils soient climatiques, technologiques, sociaux ou politiques – semblent plus pressants que jamais.
Mais sommes-nous réellement équipés pour aborder ces questions avec clarté, pédagogie et impact ? Les réflexions de Mélusine Boon-Falleur, chercheuse à Sciences Po, Audrey Garric, journaliste au Monde, et Audrey Cerdan, rédactrice en chef climat chez France TV lors des dernières rencontres de l’innovation éditoriales, apportent des éclairages sur cette question.
Le défi de la complexité : vulgariser sans simplifier
L’un des principaux obstacles à la compréhension de ce qui nous attend réside dans la complexité des sujets abordés. Prenons l’exemple des rapports du GIEC sur le climat. Ces documents scientifiques, riches en données et en projections, sont essentiels pour comprendre les enjeux climatiques, mais ils restent souvent inaccessibles au grand public. Comment les rendre digestes sans en trahir le sens ?
Pour toucher un public large, il faut créer des portes d’entrée variées : infographies, chiffres clés, métaphores et croisements de points de vue. Le vocabulaire utilisé doit marquer la gravité des situations tout en évitant le jargon scientifique. Par exemple, plutôt que de parler de « scénarios à 1,5°C ou 2°C », il est plus parlant d’évoquer « un scénario 1 mois de canicule » ou dire qu’il est tombé « 2 mois de pluie en 1 jour » plutôt que 20mm. Ces reformulations permettent de rendre les enjeux plus concrets et émotionnellement percutants.
Cependant, vulgariser ne signifie pas simplifier à outrance. Utiliser le conditionnel, par exemple, permet de maintenir une rigueur tout en évitant de nourrir le climato-scepticisme.
Le temps long dans une société de l’immédiateté
Un autre défi majeur est de concilier le temps court de l’actualité avec le temps long des enjeux futurs. Le changement climatique, par exemple, se joue sur des décennies, voire des siècles, alors que les médias fonctionnent souvent au rythme de l’immédiateté. Comment faire comprendre au public que les décisions d’aujourd’hui auront des répercussions sur plusieurs générations ?
France TV a tenté de répondre à cette question en lançant un journal Météo Climat. Ce format associe les prévisions météorologiques quotidiennes à une contextualisation climatique. En changeant les normales de saison de référence (de 1991-2020 à 1970-2000), par exemple, on peut illustrer de manière tangible l’évolution du climat. Cette approche permet de faire entrer la question climatique dans le quotidien des gens, en la reliant à des événements concrets comme la fermeture des crèches en été ou la disparition de certains fromages.
Les sciences cognitives montrent que pour capter l’attention, il faut parler de sujets « concernants » et individuels. En ancrant les enjeux futurs dans le présent et la proximité, on peut espérer susciter une prise de conscience plus large.
La fiction : un outil puissant avec ses propres limites
Pour parler du futur, la fiction est souvent citée comme un moyen efficace. Des projets comme
Les Futurs en transition, une projection imaginée par l’Ademe, montrent comment on pourrait atteindre la neutralité carbone.
Les entreprise aussi se prêtent à l’exercice, comme Suricats Consulting pour qui nous avons réalisé ce rapport qui aide à se projeter, grâce au design fiction, en 2050 dans une France qui a « réussi ».
La fiction peut être un outil précieux pour rendre tangible ce qui semble lointain. Elle permet d’explorer des scénarios extrêmes, de susciter l’émotion et de stimuler l’imagination. Mais pour être efficace, elle doit s’appuyer sur des faits scientifiques solides et éviter de tomber dans le catastrophisme ou le simplisme.
Changer de focale : élargir les perspectives
Pour bien parler du futur, il est essentiel de sortir des sentiers battus. Pour toucher un public plus large, il faut aller au-delà de l’écologie pure. Sécurité, immigration, tradition : ces valeurs peuvent créer des ponts vers des audiences moins sensibilisées. Par exemple, donner la parole à des figures de confiance, telles que les pompiers ou l’armée, peut faciliter la diffusion de messages sur l’impact du réchauffement climatique sur les métiers et la vie en société.
De même, il ne faut pas se limiter aux risques, mais systématiquement parler des solutions. Les gens connaissent souvent les dangers, moins les moyens d’agir. En liant les deux, on évite le sentiment d’impuissance et on encourage l’action.
Alors, sommes-nous bien outillés pour parler du futur ?
La réponse est nuancée. Des outils existent – pédagogie, contextualisation, fiction – mais leur utilisation nécessite une approche réfléchie et adaptée. Les médias, les scientifiques et les créatifs ont un rôle collectif clé à jouer pour rendre les enjeux futurs accessibles, concrets et engageants.